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Neta Elkayam : Maroc, terre promise
Neta Elkayam et Amit Hai Cohen

Neta Elkayam : Maroc, terre promise

À travers le parcours de la chanteuse Neta Elkayam c’est toute l’histoire de la diaspora judéo-marocaine installée en Israël qui se dessine. La création en exil, c’est ici.

Afin de comprendre l’histoire de vie de Neta Elkayam et l’héritage judéomarocain qu’elle porte dans ses bagages, il faut ouvrir la valise diplomatique : depuis la fin de l’année dernière, Israël et le Maroc ont rétabli leurs relations diplomatiques. Un dernier « legs » diplomatique paraphé par Trump sur Twitter en décembre 2020. Les contacts officiels étaient interrompus et les bureaux de liaison fermés depuis deux décennies. Désormais, entre Rabat et Tel-Aviv, les relations sont amenées à se normaliser. En échange, Washington reconnaissait la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Un « deal » évidemment condamné par le Hamas comme par le Front Polisario.

Fille d’une vieille histoire

Mais dans la réalité, le Maroc et Israël n’ont pas attendu Mike Pompeo pour dialoguer et s’unir. Leurs échanges sont riches. Et historiques. Le Maroc comptait environ 250 000 Juifs en 1946. Leur départ, qui s’amorce en 1948, va durer près de vingt ans. En 1967, il n’étaient plus que 60 000 à 70 000 et aujourd’hui guère plus de 3000, résidant majoritairement à Casablanca. Si la diaspora s’est déployée au fil des années en France, au Canada, en Espagne ainsi qu’aux États-Unis, c’est en Israël qu’elle va principalement se fixer. Aujourd’hui, près de 800 000 Israéliens sont originaires du Maroc, pour une population totale de près de neuf millions d’habitants(source : banque mondiale). Exil, musique, tradition gastronomique, pèlerinages, reconfiguration communautaire et double culture… Ces Israéliens, nés au Maroc ou en Israël d’un ou de deux parents marocains, entretiennent une mémoire patrimoniale très vive. L’artiste israélienne Neta Elkayam est l’une d’entre eux.

Amazighe de Tinghir, où ses grands-parents paternels sont nés, la mère de Neta est née à Casablanca. Ses parents ont immigré en Israël, où elle est née en 1980 dans la ville de Netivot, le plus grand rassemblement de Juifs d’origine marocaine : « en fait j’ai grandi en Israël, mais au cœur de la culture marocaine », se souvient Neta. « Tous les habitants de Netivot étaient des immigrés juifs marocains, qui avaient quitté le pays dans les années cinquante. Du coup, il y avait deux mondes, l’extérieur, et chez mes grands-mères qui ne vivaient, elles, que dans leurs souvenirs du Maroc. Netivot, dans les années 80 et 90, vivait complètement à la marocaine. On y parlait en arabe dialectal dans la rue, on mangeait marocain et l’on y célébrait les fêtes du Maghreb. »

Neta Elkayam – Muima
Grandir entre chaâbi, pop américaine, et variété française

C’est là, dans la petite ville située à une poignée de kilomètres de la bande de Gaza, que la jeune Neta va se passionner pour le répertoire musical du Maroc : « deux immenses musiciens immigrés y vivaient alors. L’un d’eux Yeshua Azoulay était un véritable expert en musique andalouse, l’autre, Hanania Abergeil était un oudiste, spécialiste des standards Chaabi des sixties. À l’époque on allait les voir jouer à Haïfa… » Originaire de Ouarzazate, le mari de Neta, Amit Hai Cohen, qui est également son arrangeur, producteur et complice musical, a justement appris la musique aux côtés d’Abergeil.

« À côté de ça, on vivait également sous l’influence de toute la musique occidentale, de la chanson française à la pop américaine. Tout le monde ici écoutait Mike Brant, les Jackson Five, Enrico Macias ou ABBA. » Les références rock elles, vont poindre à l’aube des années 90 : « au tournant des nineties, le rock est devenu le genre musical dominant en Israël, je jouais moi-même alors de la guitare dans un groupe, je chantais en hébreu et en anglais », se souvient Neta. Teapacks, Knessiyat Hasekhel ou Sfataiim sont quelques-uns des groupes, composés par des musiciens issus du Maghreb, qui ont porté la scène Rock du sud d’Israël à cette époque. «Malgré tout, à cette époque, je sentais que le répertoire qui m’avait bercé n’existait pas du tout aux yeux des autres, la musique marocaine n’était pas du tout représentée en Israël. » Sans soutien de l’État, le répertoire des juifs du Maroc n’accède jamais au mainstream, dans un pays où les stations de radios ne jouent alors que des titres en hébreux et en anglais : « en fait, le genre survivait, mais sous les radars, uniquement au sein de la communauté des immigrés marocains et de leurs musiciens. »

« ici, les jeunes d’origine marocaine sont prêts à franchir le pas de la réappropriation culturelle »

Neta Elkayam

Neta Elkayam va finalement attendre une décennie supplémentaire avant de faire son premier voyage au Maroc : « à mon retour, je n’étais plus la même. Ce voyage m’a permis d’opérer un retour aux sources, de comprendre à quel point j’aimais la langue natale de ma grand-mère et à quel point j’avais besoin de me la réapproprier. J’y ai découvert que beaucoup des musiciens qui figuraient sur mes vieux vinyles étaient juifs, mais utilisaient des noms français et arabes. J’ai alors voulu être comme eux, une musicienne capable de repousser mes frontières personnelles. »

Ce qu’elle va faire, aux côtés de son mari, Amit Hai Cohen, avec les sorties de « Hak a Mama », « Muhal Nensah » ainsi que « Muima », singles tirés du répertoire traditionnel marocain, réunis en ce début d’année dans un EP. où le duo explore les passerelles entre mélodies pop et jazz, sampling électronique, et rythmes d’Afrique du Nord. Neta y fait chavirer son chant mélancolique, qui déclame des paroles en darija (l’arabe dialectal parlé en partie au Maroc). Sa musique égrène un spleen étrange et chante l’exil. Neta, elle, se balade entre deux pays : « je compose en regardant l’avenir, je souhaite que mes enfants grandissent dans une société plurielle, où les gens seraient fiers de leurs racines, de leur culture comme de leur couleur de peau. »

Pour les Juifs du Maroc, ainsi que les secondes et troisièmes générations qui vivent entre autres dans le Sud israélien, Neta est en train de bâtir un véritable pont musical entre Casablanca et Jérusalem : « aujourd’hui, les choses évoluent, on sent qu’il y a une évolution dans les mentalités par rapport à notre patrimoine », explique la chanteuse. « Les institutions israéliennes soutiennent désormais des orchestres andalous et, ici, la nouvelle génération s’est débarrassée de la honte et de la gêne qui ont longtemps collé à la peau de leurs parents. Désormais, les jeunes ont soif de musique, ils sont prêts à franchir le pas de la réappropriation culturelle, à réclamer ce patrimoine, abandonné si longtemps par leurs aïeux. »

Neta Elkayam, nouvel EP. éponyme, disponible sur toutes les plateformes.

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